tapis

Renée Kinsbourg est une décoratrice née à Rouen et installée à Paris au numéro 85 de la rue de Longchamp dès les années 20. Elle crée sa propre maison d’édition de meubles "Aux Arts de France" et participe très régulièrement aux salons. Elle présente au Salon d’Automne de 1921 une chambre à coucher de dame avec une armoire en palissandre et en laque. A l’Exposition internationale de 1925, elle présente une chambre à coucher de jeune femme et remporte une médaille d’or. En 1926, son ensemble pour un fumoir en ébène de Macassar aux lignes droites signe la singularité de son style. Une publicité pour l’exposition de ses tapis publiée dans la revue Art et Industrie de novembre 1928 montre un tapis à la composition abstraite, figurant un thème centré sur la navigation où le tourbillon des vagues emportent un bateau dont on ne perçoit que trois rames. Ses tapis teintés d’un « modernisme assez outrancier » sont très souvent loués par la critique. On reconnaît à Renée Kinsbourg la gloire de « n’avoir retenu du cubisme que ce qu’il avait de légitime et de viable ». Paul Sentenac lui dédie en 1929 un article et la place dans une phalange d’artistes qui illustrent l’art décoratif français moderne. Selon lui, Renée Kinsbourg, consciente du machinisme et de la vitesse crée des œuvres pour des décors qui rachètent par leur aménité la brutalité et l’agitation extérieure.
Le tapis est un élément incontournable de l’ameublement intérieur. L’article intitulé « Quelques nouveaux tapis » daté de 1933 dans lequel le tapis du salon de Fels apparaît déclare qu’un « beau tapis aujourd’hui plus que jamais est un luxe indispensable ». En effet, les tapis Art déco ne venaient plus seulement compléter discrètement les ensembles décoratifs mais devenaient une œuvre centrale de la pièce. Progressivement, l’amas de fleurs aux couleurs vives s’est organisé en motifs plus espacés. Des motifs géométriques venaient à l’envi ponctuer ces motifs végétaux. Puis, la découverte des arts des civilisations non occidentales tout comme l’influence du cubisme bouleversa considérablement le répertoire ornemental. L’autre caractéristique des tapis de cette période est l’utilisation de la technique du point noué. Elle a la particularité de produire des tapis épais et confortables. Le point noué à la main est mis en œuvre sur des métiers à tisser verticaux composés de deux rouleaux pivotants placés en haut et en bas d’un bâti. Les fils de chaîne verticaux sont fixés au rouleau inférieur et s’enroulent autour du rouleau supérieur. Au fur et à mesure de la fabrication, le tapis s’enroule donc autour du rouleau inférieur. Les laines sont nouées sur les fils de chaîne en formant un nœud coulant. Les fils de chaîne sont ensuite coupés en laissant une longueur suffisante. Le dessin du tapis suit le modèle d’un carton réalisé par les dessinateurs ou peintres, et celui-ci est placé derrière le métier à tisser. Dans la fabrication dite de la savonnerie, les fils de laine ne sont pas coupés après chaque nœud mais sont enroulés sur une tige de fer à section tranchante. Lorsque la longueur de la tige est recouverte, le lissier la tire et la section tranchante coupe les boucles de laine qui se redressent et forment alors le velours. C’est la seule différence entre les deux techniques.
Au départ, le dossier de la dation attribuait le tapis du salon de Fels à Ivan Da Silva Bruhns (1881- 1980). Un travail mené par Gaby Saade a permis de réattribuer le tapis à Renée Kinsbourg. Pièce d’une surface de 40 m2, le tapis présente une harmonie de tons gris, marron, rouge et rose, ocre et beige qui s’associent avec le velours marron qui tapisse le divan. Composé suivant deux diagonales fortes, de grands triangles délimitent des motifs de chevrons ou aplats de couleurs en dégradé. Au centre un motif abstrait adoucit l’ensemble géométrique par de grandes envolées de lignes courbes. Ainsi, le sujet est suggéré sans être imposé, laissant place à la rêverie. [M. Clerc Baranzelli, 2022]