« Les Cranach de Reims » sont les photographies d’hier des personnalités de l’Allemagne protestante au même titre que les crayons des Clouet le sont pour les personnalités de la France du XVIe siècle. Ils ont été acquis en 1752 par la Ville de Reims grâce au legs d’Antoine Ferrand de Monthelon, directeur de l’école de dessin – l’une des premières créées en France – et forment une collection qui doit sa renommée à ces portraits dessinés, rares dans l’oeuvre de Cranach – treize au total. Dessinés sur le vif, avec une technique rapide associant la pierre noire pour la vivacité du trait et l’estompe des modelés à la détrempe qui permet des indications de couleurs, ils fascinent toujours. Facilement transportables, ils servent de modèles qui peuvent être habillés, coiffés en fonction de la mode et des besoins, et reproduits sous toutes les formes (peinture, vitrail, médaille, miniature, tapisserie). En 2015, à la suite de la rétrospective consacrée à Lucas Cranach le Jeune à Wittenberg, cette série exceptionnelle a été attribuée à l’oeuvre révélé de Cranach le Jeune, fils de Cranach l’Ancien.
Ici, il s’agit du portrait Philippe Ier, duc de Poméranie-Wolgast.
À la mort de son père, Georges Ier, duc de Poméranie, en 1531, Philippe (1515-1560) reprend le titre et se partage les terres avec son oncle Barnim IX. En 1535, après avoir aboli la religion catholique, il impose l’église protestante. Jean Bugenhagen, surnommé à cause de sa patrie « Le docteur poméranien » et parrain avec Cranach du premier fils de Luther, a contribué à sa diffusion. Au côté de son futur beau-frère, l’électeur de Saxe Jean- Frédéric le Magnanime, le duc adhère rapidement à la ligue de Schmalkalde. En 1536, Luther marie le duc à Marie de Saxe au château d’Hartenfels, à Torgau, résidence des princes électeurs de Saxe. Cranach est présent.
C’est le premier mariage protestant d’un duc poméranien mais c’est aussi un mariage politique. Quelques années plus tard, le duc choisira de marquer cet évènement en faisant réaliser une tapisserie (tapisserie de Croy, université de Greisfwald 1554). Celle-ci, en mettant en scène de manière fictive le rassemblement des puissants acteurs politiques, religieux et culturels des temps nouveaux, devient symbole de cette alliance et du changement en marche.
Marguerite, la sœur du duc épousera le duc Ernest de Brunswick-Grubenhagen. Son oncle Barnim IX épousera Anna de Brunswick-Lünebourg, de la famille d’Ernest le Confesseur.
Ce portrait est identifié par le conservateur du musée de Reims, Louis Paris, en 1845 grâce à l’inscription portée par l’artiste sur ce dessin. En 1933, Helmuth Bethe le confirme par comparaison avec un portrait à l’huile du duc.
Ce tableau peint en 1541, attribué aujourd’hui à Cranach le Jeune (Stettin, musée des arts des antiquités poméraniennes) permet de dater notre dessin. Ils sont si proches que l’hypothèse d’un report via un autre medium de type estampe peut être envisagée. De plus, il a été constaté des sortes d’incisions, notamment au niveau des yeux et de la bouche, qui viennent enrichir cette supposition de méthode pour réaliser avec fidélité un portrait.
Sans doute est-ce à l’occasion d’un voyage le menant en Allemagne du Sud pour des questions religieuses avec Philippe Melanchton, ami des Cranach, que le duc rencontre Cranach. Le duc Philippe a alors vingt-six ans et est l’un des participants les plus passionnés de la Réforme.
[M-H Montout-Richard, 2016]
Portrait en buste, de trois-quarts droit.
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