Durant son premier séjour en Italie, entre 1825 et 1828, Corot fréquenta beaucoup l’Académie de France à Rome, où il pouvait retrouver quelques collègues paysagistes — à commencer par les deux lauréats du Grand Prix de Rome de paysage historique de l’année 1825, André Giroux et Jacques-Raymond Brascassat ; la petite communauté d’artistes français à Rome se retrouvait d’ailleurs tout naturellement à la Villa Médicis et chacun aimait à la prendre pour modèle sous les angles les plus divers. En outre, le confort de la Villa permettait aux paysagistes de travailler d’après nature l’étude des perspectives sur la ville éternelle, sans être entièrement en plein air. Corot lui-même ne s’en priva pas, peignant tour à tour les vues des toits de Rome ou l’église de La Trinité-des-Monts, toute proche, depuis les fenêtres de la Villa ou à partir de la célèbre « passerelle » qui menait aux chambres de certains des pensionnaires. Il est vrai qu’il habitait à quelques centaines de mètres de l’Académie de France, près de la Piazza di Spagna, l’un des cœurs de la vie artistique romaine ; et, avant d’entrer dans la Villa Médicis par la célèbre petite porte accueillant les visiteurs, le peintre passait évidemment devant l’immense vasque, conque antique en marbre posée à cet emplacement depuis la fin du XVIe siècle. Tous les peintres prirent pour modèle cette étrange œuvre, entre monument et sculpture, complètement identifiée au lieu ; sa représentation permettait en outre de beaux effets esthétiques : contraste entre le dessous ombragé des arbres abritant la vasque et la luminosité de la vue sur Rome, utilisation du rideau opaque des arbres pour mieux mettre en valeur la vasque, travail sur la profondeur et la perspective, etc.
Avant Corot, Pierre-Henri de Valenciennes (« A la Villa Médicis », plume, encre et lavis gris, 1778. Paris, Bibliothèque nationale de France, album « Vues de Rome et de ses environs », réserve, Vf 31 c, petit folio) ou Jean-Auguste Dominique Ingres (« Vue prise de la Villa Médicis en direction du Capitole » et « Vue prise de la Villa Médicis », Montauban, musée Ingres, Ml 867-4442 et Ml 867-4448), sans parler de Goethe (« La Vasque de la Villa Médicis », Weimar, musée Goethe, lnv. 197), avaient tous pris pour modèle cet étrange objet et son environnement. Et, après eux, le maître de Corot, Achille-Etna Michallon la retenait lui aussi comme motif (« Vue de Rome », 1819, dessin à la sépia, Orléans, musée des Beaux-Arts, lnv, 905 B), durant son séjour à l’Académie de France à Rome en tant que lauréat du Grand Prix de Rome de paysage historique en 1817.
Par ailleurs, juste avant de quitter la France pour l’Italie, Corot avait pu voir au Salon de 1824 la jolie version de la vue de la vasque exposée par Pierre-Athanase Chauvin (« Saint-Pierre de Rome vue du Pincio », huile sur toile, collection particulière). Il paraissait alors inévitable que cette vue devienne l’un de ses principaux sujets de recherche picturale durant son séjour ; ainsi, n’est-il pas étonnant qu’il ait peint quatre vues de la vasque, quatre versions conservées à Dublin (The Hugh Lane Municipal Gallery of Modern Art) -traditionnellement considérée comme la version peinte en plein air-, à Beauvais (musée départemental de l’Oise), dans une collection particulière et, bien sûr, au musée des Beaux-Arts de Reims, grâce au legs de Paul Jamot. Alfred Robaut ayant signalé l’existence de « une ou deux ou trois copies », peintes par Corot lui-même d’après cette vue de la vasque de la Villa Médicis (Cartons. Paysages 1822-1842, n° 1, Paris, musée du Louvre, département des Peintures, documentation), les historiens de l’art ont longtemps cherché à établir, sans succès, l’antériorité des versions les unes par rapport aux autres. L’existence d’un dessin au crayon (Paris, musée du Louvre, département des Arts graphiques, R.F. 8993), dont l’exécution d’après nature ne fait aucun doute, pourrait d’ailleurs permettre d’envisager que les quatre versions peintes à l’huile aient été toutes peintes en atelier, à Rome ou, plus vraisemblablement, à Paris, après 1830.
Quoi qu’il en soit, deux des qualités principales des paysages de Corot se trouvent déjà réunies dans cette œuvre précoce : la quête d’équilibre entre réalisme et poésie, utilisant de manière fort subtile les contrastes de la lumière et les jeux de composition ; le sens de la théâtralité, les paysages de Corot étant souvent « mis en scène », comme ici où le rideau des arbres devient un véritable rideau de théâtre, qui semble s’ouvrir pour faire apparaître d’abord la superbe vasque, puis les beautés de la ville éternelle plongée en pleine lumière. [V. Pomarède, 2009]
Notice complèteVue de la vasque d’une fontaine des jardins de la Villa Médicis sous le couvert des arbres ; en arrière plan, vue sur Rome d’où émerge le dôme de la basilique Saint-Pierre.
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