Durant son court apprentissage chez Achille-Etna Michallon, réduit à quelques mois en 1822, Corot avait pu voir son maître travailler à un tableau destiné au Salon de cette année-là, Paysage inspiré de la vue de Frascati (Paris, musée du Louvre) -finalement acquis par Louis XVIII. Et, dans cet exceptionnel paysage « champêtre » dont l’univers visuel et poétique, très inspiré par Claude Gellée dit Le Lorrain, réapparaîtra plus tard dans l’œuvre de Corot, on pouvait voir un groupe de paysans italiens danser une saltarelle au milieu d’une clairière ; Michallon avait tenté d’y synthétiser le réalisme de la représentation des arbres, des végétations et des lointains avec la vision poétique idéale apportée par une telle scène bucolique « à la Virgile ». Une copie de ce tableau, traditionnellement attribuée à Corot (collection particulière) et exécutée durant sa formation, prouve d’ailleurs l’importance de cette œuvre dans la formation de son œil et de sa manière picturale.
Le thème de la danse reviendra alors régulièrement dans son œuvre, aussi bien dans des paysages historiques inspirés de l’antique, comme Silène (Minneapolis lnstitute of Arts) ou « Matinée, danse des nymphes » (Paris, musée d’Orsay), que dans des paysages champêtres, souvent d’inspiration italienne, comme « Site des environs de Naples » (Springfield, Museum of Fine Arts). Ainsi, grâce à ces mises en scène de personnages dansants, Corot pouvait-il concrétiser trois de ses finalités esthétiques principales : « humaniser » la nature qu’il représentait, en la rendant plus accessible ; animer sa composition, en intégrant le groupe de figures dans le rythme général des frondaisons, des végétations et des feuillages ; créer enfin un univers musical, nous dirions même sonore, qui accentue les effets poétiques qu’il recherche. Ce dernier point apparaît d’ailleurs comme le plus essentiel ; grand amateur de ballets, de concerts et d’opéras, Corot rêvait d’insuffler à ses tableaux l’une des qualités principales de la musique : être un art qui peut oublier le sujet, le contexte et même le réel, afin de favoriser une émotion et une jouissance purement sensorielles, sensuelles et, en définitive, abstraites. On comprend alors aisément pourquoi ce thème des personnages dansants l’obsédera toujours après 1860, en dépit du tournant « commercial » de sa carrière ; nous le retrouvons en effet dans de nombreux souvenirs de ses dernières années, aussi bien dans des œuvres destinées au marché de l’art que dans des tableaux plus ambitieux, comme la Pastorale du Salon de 1873 (Glasgow, Kelvingrove Art Gallery and Museum).
Ce tableau reprend donc ce thème de la danse de manière lyrique, mis en scène dans un paysage composé en hauteur de façon monumentale ; il apparaît très proche d’une version deux fois plus grande, aujourd’hui conservée au Japon, « Souvenir de la baie de Naples « (Tokyo, Musée national d’art occidental). L’arrière-plan, où l’on devine des maisons et un bord de mer éclairés par une lumière très méditerranéenne, évoque par ailleurs le « souvenir » de la baie de Naples peint dans le même esprit dans un autre de ses chefs-d’œuvre, « Site des environs de Naples » (Springfield, Museum of Fine Arts). [V. Pomarède, 2009]
Notice complèteAu centre d’une clairière, un homme, tenant un tambourin, et une femme dansent accompagnés par une joueuse de guitare.
Une lettre de la société de rentoilage Chapuis & Cie, datée du 13 mars 1903, chargée de la transposition de la toile informe Henri Jadart, conservateur, de l’existence de trois couches successives peintes par l’artiste. Après avoir enlevé la toile de préparation, ils ont mis à jour deux études : un sujet d’histoire Sainte (Caïn et Abel) représentant le corps d’Abel mort, Caïn fuyant, le Seigneur dans le ciel le maudissant ; puis un paysage. Ces deux sujets ont disparus pour amincir et ramener le sujet actuel, aucune photographie n’a pu être réalisée. [source : archive du musée]
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