On a longtemps considéré que la découverte du port d’Honfleur par les artistes parisiens était liée au mythique voyage de Charles Baudelaire en Normandie de 1859 ; version historiquement fallacieuse, puisque, dès la fin du XVIIIe siècle, des peintres français ou étrangers y avaient travaillé régulièrement. Ainsi, les Anglais Richard Bonington et William Turner, le néo-classique Achille-Etna Michallon, futur maître de Corot préparant en 1817 des planches du « Nouveau Voyage pittoresque de la France », mais aussi les romantiques Eugène Isabey ou Paul Huet et, surtout, la plupart des paysagistes parisiens, en raison de la proximité de cette ville, étaient-ils venus peindre ces côtes sauvages et lumineuses. Corot avait donc été lui aussi attiré naturellement, très tôt, par la ferme Saint-Siméon, l’auberge accueillante de la mère Toutain et de sa fille, qui allait séduire dans les années suivantes des personnalités d’artistes aussi opposées que celles de Gustave Courbet, Johan Barthold Jongkind, Eugène Boudin ou le jeune Claude Monet.
Les premiers séjours de Corot à Honfleur datent donc de sa jeunesse et de son apprentissage, avant son premier voyage en Italie de 1825, mais nous n’en connaissons ni la fréquence, ni le calendrier, ni la productivité artistique ; deux tableaux seulement, encore connus aujourd’hui, paraissent avoir été peints à Honfleur durant cette période (collection particulière et Providence, Museum of Art, Rhode Island School of Design). Cependant, les charmes de l’hôtel tenu avec chaleur par la mère Toutain, les luminosités étonnantes de la côte de Grâce et la beauté de la mer à cet endroit avaient visiblement beaucoup inspiré Corot ; dès son retour en Italie, en 1829, il y retournait aussitôt pour ressourcer son œil, oubliant provisoirement les clartés violentes de l’Italie en faveur des transparences et des fulgurances de la lumière de la mer du Nord. Et, en août et septembre 1830, alors que la Révolution déstabilisait la capitale, Corot se réfugiait en Normandie, à la recherche de la sécurité tout autant que du repos créateur ; il travaillait alors au Havre, à Sainte-Adresse, à Trouville et, bien sûr, à Honfleur.
C’est à cette époque qu’il prenait pour modèle un site de la côte de Grâce, distant de quelques centaines de mètres de l’auberge de la mère Toutain et qui dominait l’estuaire de la Seine et la rade du Havre ; le calvaire qui s’y trouvait devait l’inspirer tout particulièrement, engendrant un chef-d’œuvre de luminosité, de réalisme et de composition spatiale, Honfleur, calvaire de la côte de Grâce (New York, Metropolitan Museum of Art). Vingt ou vingt-cinq ans plus tard, Corot réactivait en atelier ses souvenirs d’Honfleur, peignant alors ce tableau, dont la subtilité et la poésie proposent une variante nouvelle découlant de sa vue réaliste de jeunesse, imprégnée de délicatesse et d’émotions. Jouant avec le« chapiteau » naturel, créé par les arbres, et avec la vision lumineuse ouverte en profondeur vers l’estuaire de la Seine, Corot parvenait à synthétiser ses souvenirs de jeunesse, imprégnés de la vision réaliste des lieux, et la conception esthétique longuement mûrie de sa maturité, fondée sur l’imagination, la recomposition et l’expression des sentiments. [V. Pomarède, 2009]
Notice complèteAu bord de mer, deux paysannes assises sous des arbres ; au loin, bateaux à voiles.
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