Le thème du berger ou de la bergère solitaire est un sujet récurrent dans l’œuvre de Millet. Dès 1850, l’artiste cherche à immortaliser ces figures esseulées, travaillant avec et dans la nature. De nombreuses études témoignent de ses recherches. Elles se concentrent souvent sur le berger, silhouette imposante avec son inséparable bâton, parfois avec son chien. Il est à l’orée d’un bois, en plaine ou à proximité de la mer. Ces travaux se caractérisent aussi par une écriture libre, dans laquelle l’artiste met en valeur les masses, à l’aide de hachures noires et grasses, marquées à la pierre noire.
En 1860, c’est avec une peinture, « Berger ramenant son troupeau, le soir » (Philadelphie, Pennsylvania Academy of the Fine Arts, 1857-1860) que le critique Zacharie Astruc rend compte de ce qui a ému le public au salon de Paris : « Ce calme, ce mystère des premières ombres, ce caractère sauvage et doux de la nature, ce cercle rouge, œil de sang sur le berger méditatif – toute cette grandeur et ce sentiment vous plonge dans une émotion profonde. » Ce même sentiment de poésie et de mystère se retrouve dans d’autres œuvres graphiques réalisées sur commandes (en 1865, il réalise plus de quatre-vingt-dix pastels et dessins), auxquelles ce pastel appartient. Il est d’ailleurs à mettre en parallèle avec le tableau qui assure un succès à Millet, « La Grande bergère » (Paris, musée d‘Orsay, 1863-1864), sorte de pendant féminin au « Berger » de Vasnier.
Ici, placé au centre de la composition, l’homme, inscrit dans une forme pyramidale, s’impose par sa monumentalité sculpturale et synthétique. Mis en contrejour, il devient un colosse difforme et puissant, dont la tête coiffée et sombre se dégage devant un nuage clair et lumineux. Dans ce traitement simplifié du berger, Millet se souviendrait-il du Kouros de Paros, du Pierrot de Fragonard ou de l’aveugle de Brueghel ? Derrière lui, le troupeau de moutons s’appuie sur la ligne d’horizon, dont l’immense plaine dénudée de Chailly (Seine-et-Marne), reprend les horizons marins de la jeunesse de l’artiste. L’extrême sobriété du paysage et la figure primitive, associées à une composition solide, mettent en évidence la rigueur classique du travail de l’artiste. Cette composition sera d’ailleurs reprise dans « L’Horizon » (Tokyo, New Otani Art Museum), autre grand pastel et nouvel hommage à la terre nourricière, reléguant à l’arrière-plan, à peine visible, mais traçant l’horizon, le berger et son troupeau, sortes d’émanations fantomatiques issues du sol.
Acheté 400 francs à l’artiste par l’architecte et collectionneur Émile Gavet, en 1866, ce pastel est revendu 29 600 francs à Henry Vasnier lors d’une vente à Paris en 1890. La valeur de l’œuvre justifiait aux yeux du collectionneur rémois sa présentation encadrée, telle une peinture, à proximité d’un Théodore Rousseau, dans sa galerie d’art privée. Mais peut-être avait-il suivi les conseils des frères Goncourt qui mettaient le dessinateur bien au-dessus du peintre : « Millet est un silhouetteur – et le silhouetteur de génie – du paysan et de la paysanne ; mais c’est un pauvre peintre, un peintre a [sic] la pâte tristement glaireuse, un coloriste meurt-de-faim […] Au fond, le vrai talent de Millet, c’est d’être un fusiniste, un dessinateur au crayon noir avec des rehauts de pastel, […]. Voici ce que les Français doivent acheter ; quant aux tableaux, il faut les laisser aux Américains. » (Journal, 8 juin 1889). [M.-H. Montout-Richard, 2016]
Notice complèteBerger en arrêt entouré d’un troupeau de moutons.
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