Reims-Afrique : histoires d’objets entre deux continents
Cette exposition est réalisée en partenariat avec le programme « L’Afrique en musée », de l’Institut national d’histoire de l’art, en réseau avec le Musée d’Angoulême, le Musée Calvet à Avignon, le Musée municipal de Bourbonne-les-Bains, le Muséum de La Rochelle, le Musée des Arts Africains Océaniens et Amérindiens (MAAOA) de Marseille, la Monnaie de Paris, les Musées de Reims et l’Association des Musées de Bourgogne-Franche Comté
Les musées de la ville de Reims conservent dans leurs collections 80 objets venus du continent africain. Si ce modeste ensemble ne permet pas d’évoquer la diversité des cultures africaines et leur riche histoire, il raconte, en revanche, une histoire passionnante des relations entre Reims et l’Afrique. La plupart des objets venus d’Afrique ont été offerts aux musées de Reims dans la première moitié du XXe siècle par des touristes ayant fait escale sur les côtes africaines, par des militaires ayant pris part aux guerres coloniales, ou par des collectionneurs fascinés par l’exotisme des objets extra-européens.
A Reims, cette petite collection a été présentée dans plusieurs salles de la mairie, au fur-et-à-mesure de son enrichissement. Ce « musée ethnographique » apparaît dans les années 1890, et fait l’objet d’un grand réaménagement en 1902. Une partie de la collection disparaît malheureusement lors des bombardements de la première guerre mondiale : les quelques objets conservés, et ceux offerts après la guerre, sont exposés dans le nouveau musée des Beaux-Arts. La répartition des collections entre musées réalisée dans les années 1970 entraîne finalement le transfert des objets africains au musée Saint-Remi, où ils ne seront plus présentés de manière permanente.
Faute de connaissances sur les arts non-européens, les conservateurs des musées de Reims se sont longtemps fondés sur la description des objets faite par les donateurs, qui s’est parfois révélée incomplète. Le musée Saint-Remi a entrepris, depuis 2017, une nouvelle étude de ses collections extra-européennes, asiatiques et africaines notamment, afin de mieux identifier ces objets et leur histoire, et de les rendre accessibles au plus grand nombre.
Première rencontre : la salière sapi de Reims
Les premiers échanges commerciaux entre les marchands portugais et les populations du golfe de Guinée se sont mis en place à la fin du XVe siècle. Les Sapis, occupant la région que les Portugais baptisèrent Sierra Leone, étaient particulièrement réputés pour leur maîtrise de la sculpture de l’ivoire. Dès les années 1490, les marchands leur commandèrent des objets sculptés, notamment des fourchettes, des olifants (instruments à vent), ou encore des salières destinées à présenter le sel, ressource précieuse, sur les riches tables européennes, ou à être collectionnées dans des cabinets de curiosité.
Ces objets d’une grande rareté (une seule autre salière est conservée en France) témoignent ainsi des premiers échanges directs entre Européens et Africains au XVIe siècle. Ils mêlent des influences artistiques d’Europe et d’Afrique de l’Ouest, reflétant le métissage culturel qui se mit rapidement en place dans le golfe de Guinée.
Sur cette salière, quatre personnages assis sur le socle mêlent des attributs sapi (nudité, parure…) et européens (chapeau, pantalons à rayures, chaussures, geste de prière). L’ensemble est orné de crocodiles stylisés, de perroquets et de serpents. Le couvercle a été remplacé à une date postérieure.
Cette salière figure dès 1794 dans le premier inventaire du musée de Reims, où elle est désignée comme « une façon de coupe d’ivoire bizarrement sculptée, ouvrage des Indiens ». Sa provenance demeure mystérieuse : peut-être provient-elle d’une collection privée ou d’un établissement religieux saisi durant la Révolution, ou de la grande collection Ferrand de Monthelon constituée en partie en Allemagne, et acquise par la ville de Reims en 1752 ?
Souvenirs et pillages : le temps des guerres coloniales
Parmi les objets africains donnés au musée de Reims, certains l’ont été par deux militaires ayant pris part à la seconde guerre du Dahomey (1892-1894) qui s’acheva par la défaite du royaume Fon et de son roi Behanzin, et par l’annexion de ce territoire du sud du Bénin actuel à l’empire colonial français.
En 1908, Henri Stocq (né à Reims en 1864), alors percepteur dans le Calvados, offre une cinquantaine d’« objets exotiques » au musée de Reims, dont une quarantaine provenant d’Afrique. Sa lettre précise les conditions de constitution de cet ensemble « d’objets (fétiches, armes, instrument de musique, etc.) authentiques rapportés de mon séjour au Dahomey, de 1892 à 1895, c’est-à-dire à l’époque de la campagne de pacification entreprise contre l’irréductible roi nègre Béhanzin, et à laquelle j’eus l’honneur de prendre part en qualité de sous-officier de Tirailleurs Sénégalais ». La liste des objets permet de savoir que la plupart proviennent des villes du Dahomey (Porto-Novo, Abomey, Cana), sans que l’on sache comment ils y ont été acquis. Deux sont explicitement mentionnés comme des trophées de guerre, à l’instar d’une « cartouchière d’amazone » provenant de la bataille de Dogba, en septembre 1892. Cette collection semble avoir été détruite pendant la première guerre mondiale : seuls quelques objets sont susceptibles d’être rattachés à ce don, sans certitude.
En 1928, Maurice Patoux (né à Reims en 1870) fait don de six récades du Bénin, bâtons d’autorité servant à authentifier les messagers qui les portaient. Le donateur, qui a fait ses débuts dans les troupes coloniales au Sénégal en 1889, a participé comme sergent à la guerre du Dahomey au sein du 2e régiment d’infanterie de marine, en 1893. La lettre qui accompagne ce don explique la provenance des récades : « Ce sont les copies exactes des originaux. Elles ont été exécutées par un vieil artisan d’Abomey, dernier descendant d’une famille qui, de père en fils, avait le monopole de cette fabrication ». Il s’agit ici, comme cela s’est souvent pratiqué, d’une commande à titre de souvenir passée à un artisan local.
Portraits de collectionneurs : du séjour touristique à la passion d’une vie
Les objets conservés racontent aussi la passion que certains collectionneurs ont vouée à la réunion d’objets témoignant de leurs voyages ou de leur fascination pour les cultures extra-européennes.
Joseph Vauthier, l’armurier collectionneur
Né à Vitry-le-François en 1811, il réunit durant sa vie « une précieuse collection d’armes anciennes. La porte franchie, on était reçu par un vieillard gai et alerte qui, le sourire aux lèvres, vous introduisait, à droite du vestibule, dans une chambre où brillaient, rutilantes, avec des reflets d’or, d’argent et d’acier, les panoplies accrochées aux murs » (L’Eclaireur de l’Est, 30 mars 1894). La collection, donnée au musée de Reims en 1916 par sa fille, comprend 16 objets venus d’Afrique.
Albert Le Cocq de Lautreppe, le globe-trotter
Né en 1856, ce grand voyageur s’installe à New York à la fin des années 1880, collabore à différents journaux et se rend en Polynésie où il visite l’écrivain Robert Louis Stevenson dans sa villa de Samoa, en mars 1894. Il voyage ensuite longuement en Amérique du Sud, au Pérou et au Mexique notamment, avant de retourner séjourner à Londres à partir de 1919. Ces appuis-tête figuraient sans doute parmi les objets rapportés de son voyage en Polynésie dont l’une des routes passait, depuis l’Europe, par l’Afrique du Sud et la côte du Mozambique. Sa veuve, Olga de Lautreppe, offre l’objet au musée de Reims en mars 1930.
Elie Blondel, le défenseur de l’artisanat tunisien
Né à Reims en 1875, il suit sa famille partie s’installer en Tunisie. Après des études d’art à Marseille et Paris, il retourne exercer comme architecte à Tunis, se passionnant pour la céramique du Maghreb qu’il étudie et collectionne, convaincu de la valeur patrimoniale de cet art. Il rachète pour cela un atelier de potier en 1897, La Poterie artistique, qui le ruine largement jusqu’à sa fermeture en 1909. « Apôtre de l’art de la céramique », il défend avec acharnement les savoir-faire artisanaux. Engagé lors de la première guerre mondiale, il est ensuite nommé inspecteur des Arts indigènes et conservateur du musée des Oudayas en 1919, mais meurt de maladie à Bordeaux en 1921. Après l’échec de la création d’un atelier de céramique, il envoie une partie de sa collection au musée de Reims, expédiée en 15 caisses et présentée dans une petite salle de l’hôtel de ville : elle est détruite dans sa quasi-totalité lors de la Première Guerre mondiale.
Charles Grangé, le bourgeois collectionneur
« Acharné collectionneur ayant rassemblé une multitude d’objets, bibelots, meubles, monnaies anciens et modernes », Charles Grangé meurt sans enfant en 1940, léguant 713 objets de toute nature à la Ville de Reims, parmi lesquels une quinzaine provient d’Afrique, composée d’objets d’artisanat du Golfe de Guinée et d’armes du Maghreb.
La première guerre mondiale : la mémoire du sang versé
Dès le début de la première guerre mondiale, plusieurs troupes d’infanterie coloniale combattent en Champagne. Formés durant l’hiver 1914 aux fondamentaux du métier militaire, ces combattants sont incorporés dans des régiments mêlant soldats de la métropole et des territoires de l’Empire colonial français. Plusieurs objets des collections des musées de Reims racontent l’engagement de ces combattants.
Début 1918, le 1er Corps d’Armée Colonial commandé par le général Mazillier est envoyé dans le secteur de Reims. Le fort de la Pompelle est tenu par des éléments du 21e régiment d’Infanterie coloniale, notamment la 6e compagnie du lieutenant Faur, du 2e bataillon, qui est chargé de sa défense. Ces hommes ont pour mission de « s’accrocher et tenir » face aux attaques allemandes. Ils repoussent à sept reprises les assauts allemands, supportant les gaz et les pilonnages, au prix d’importantes pertes humaines. Entre le 1er mars et le 18 juin 1918, 617 hommes sont tués, blessés ou disparaissent au cours de quatre attaques successives.
Le monument à l’Armée noire
Afin de commémorer le courage des bigors, marsouins et tirailleurs africains pendant la Grande Guerre, un Monument aux héros de l’Armée noire est inauguré le 13 juillet 1924 sur un emplacement ouvrant vers la montagne de Reims et le fort de la Pompelle. Réplique du monument érigé à Bamako (Mali) quelques mois auparavant, cette œuvre du sculpteur Paul Moreau-Vauthier est constituée d’un socle de granit africain sur lequel sont gravés les noms des batailles où les troupes africaines ont été engagées au cours de la première guerre mondiale. Détruit en 1940 par les Allemands, il est évoqué par deux monuments successifs en 1958 et 1963, avant d’être reconstitué au parc de Champagne sur un nouveau piédestal conçu par le sculpteur Jean-François Gavoty, et inauguré par les présidents français et malien en 2018.