Sur les traces d’une Chine en mouvement : enquête dans les collections rémoises
Etudiante Premier Cycle à l’Ecole du Louvre,
été 2025
Dans le cadre d’un stage au sein des musées de Reims, j’ai eu l’opportunité d’étudier les pièces de la collection asiatique du musée Saint-Remi, en particulier celles ayant une provenance attribuée à la Chine.
La collection fut constituée en grande partie grâce au don d’Alfred Gérard (1837-1915), un entrepreneur rémois parti vivre à Yokohama au Japon entre 1863 et 1878 où il a rassemblé une collection considérable et diversifiée d’objets asiatiques, ainsi qu’au don de Charles-Henri Grangé (1867-1939), dessinateur et ardent collectionneur ayant réuni des pièces éclectiques issues d’horizons divers.
Les pièces chinoises de ces collections, souvent peu documentées, témoignent de la diversité de la culture matérielle chinoise et de l’ampleur des échanges commerciaux par voie maritime entre la Chine, le Japon et l’Occident à partir du XVIe siècle.
Mon objectif était de mener un travail d’étude sur la provenance, la datation et l’iconographie de ces œuvres.
Voici une sélection d’œuvres représentatives des collections et des relations commerciales entre l’Asie orientale et les marchands européens :
La première pièce qui met en évidence les relations maritimes avec l’Europe est une théière (inv. 978.3074) en faïence ornée de motifs végétaux et floraux fabriquée dans la ville de Tianjin, qui devint un port majeur à partir des années 1860. Elle illustre les productions d’exportation de la fin de la dynastie Qing (1644-1911) par ses décors adaptés au goût du marché européen.
Outre sa forme, liée à la consommation de thé traditionnelle en Chine et sa matière choisie, comme alternative moins coûteuse par les Compagnies des Indes orientales qui en sont les commanditaires, cette théière illustre les échanges mis en place dans les villes portuaires comme Tianjin et Canton (Guangzhou) entre les ateliers chinois et les marchands européens pour répondre aux attentes occidentales.
Les décors des produits d’exportation sont certes façonnés pour le goût européen mais d’autres pièces illustrent les influences stylistiques qui s’opèrent sur le continent asiatique. Déterminer si un objet est chinois, japonais ou européen est donc une problématique complexe qui se pose fréquemment dans l’étude de céramiques.
Par exemple, un ensemble de table composé de 9 assiettes, 2 assiettes creuses et 2 plats (inv. 978.3068) présente un décor floral d’émaux rouge et de peinture bleue sous couverte agrémenté de dorures qui se rapporte au style Imari, très apprécié des européens, produit dans les ateliers d’Arita au Japon et copié par les ateliers chinois à partir de la première moitié du XVIIIe siècle.
C’est grâce aux détails qu’une provenance peut être déterminée. Ici, ce sont les émaux rouges non translucides, le motif central de l’arbre fleuri et les décors rouges de bouquets au dos qui indiquent que l’ensemble est issu de la production japonaise d’Arita et non chinoise comme il est indiqué dans les anciens inventaires
D’un autre côté, il existe une production matérielle de Chine dont la forme n’est pas traditionnellement chinoise comme cette aiguière (inv. 978.1177).
Sa panse globuleuse, son col cylindrique allongé et son bec verseur en S montrent des influences islamiques issues des échanges entre la Chine et le Moyen-Orient mis en place depuis le IIe siècle avant notre ère. Cette aiguière est du style sawasa, désignant une production d’objets en alliage de cuivre et d’or avec une couche de patine noire destinés aux marchands hollandais. Sa forme d’influence islamique couplée aux motifs ciselés de tradition iconographique chinoise comme le dragon, la forme de ruyi et le lion de Fô font de cette aiguière un objet remarquable
Une autre pièce est un fourneau de pipe à opium en grès non émaillé (inv. 978.662) caractéristique des ateliers renommés de Yixing dans la province du Jiangsu qui présente un décor de motifs hexagonaux et d’inscriptions de sinogrammes archaïsants, permettant de le rapprocher d’un modèle semblable conservé au British Museum, confirmant sa provenance. Cette pièce illustre la fin de l’histoire impériale chinoise, liée à l’usage répandu de l’opium au XIXe siècle en Chine, marquée par les guerres de l’opium (1839-1860) l’opposant aux colons britanniques.
Enfin, une pièce en jade en forme de dragon (inv. 978.3122) clôture cette sélection, mettant en avant deux symboles forts de la culture chinoise : le jade, une pierre difficile à polir et à sculpter considérée comme symbole de bon augure et travaillée pour ses propriétés magiques et sa pureté, et le dragon, un symbole national qui fut associé à la figure de l’empereur durant des siècles.
Le jade et le dragon sont des symboles primordiaux dans l’identité culturelle chinoise et sa représentation dans le monde jusqu’à aujourd’hui.
Conclusion
Ce travail de recherche m’a ainsi permis d’approcher les collections avec un regard d’enquêtrice en approfondissant des pans de l’histoire de la Chine reposant sur les échanges avec divers horizons, européens comme asiatiques, et en étudiant les ambiguïtés révélées par les objets conservés au sein des collections du musée Saint-Remi de Reims.