Le don Simon-Marq au musée des Beaux-Arts de Reims
- par Catherine Delot, conservateur en chef du patrimoine, directrice honoraire du musée des Beaux-Arts de Reims
Créé en 1640 par le maître-verrier, Pierre Simon, l’atelier Simon, devenu au cours du 20e siècle Simon-Marq, a fait partie intégrante, durant douze générations, de l’histoire du vitrail en France et à Reims en particulier.
De père en fils, ou plus récemment en fille, l’atelier a su perdurer jusqu’à nos jours, où malheureusement, plus aucun héritier n’a pris la suite. La célèbre maison-atelier, construite durant la période Art déco, a été vendue.
Avant le déménagement complet de cette maison, emplie d’histoire, intervenu en 2020, Benoit Marq, le dernier maître de cette grande famille, et sa sœur Charlotte Marq-Girard ont souhaité donner des vitraux et des peintures faisant partie de leur patrimoine au musée des Beaux-Arts de Reims. C’est ainsi une page de l’histoire de Reims qui est venue compléter le fonds.
Depuis Pierre Simon, né en 1614, chaque génération de la famille a donné un maître-verrier. Ainsi, à la fin du 19e siècle et au 20e siècle se succédèrent Jean-Pierre Simon (1813-1875), Paul Simon (1853-1917), Jacques Simon (1890-1974), Brigitte Simon (1926-2009), Charles Marq (1923-2006) et Benoît Marq (né en 1951).
Formé au début du 20e siècle à l’école des arts décoratifs de Paris, et de retour à Reims, Jacques Simon part à la guerre. En 1917, blessé, il revient à Reims et constate les dégâts occasionnés par les très nombreux bombardements sur les vitraux de la cathédrale, dont ceux de son père. Aidé de compagnons verriers et des pompiers de Paris, il s’attelle aussitôt à sauver ce qui peut l’être en démontant ceux encore en place.
La guerre achevée, il commence les restaurations qu’il entreprend avec le concours d’une trentaine de compagnons, produisant à l’identique des magnifiques verrières médiévales, grâce aux milliers de frottis aquarellés exécutés par Jean-Pierre Simon. Cela dura jusqu’en 1938. Puis, il poursuit l’œuvre de son père en créant ses propres verrières comme les vitraux de la rose sud du transept en 1934, la petite rose de la façade occidentale en 1938, les trois verrières du champagne du bras nord du transept en 1954 et enfin les vitraux des deux dessus de portes nord et sud de la façade occidentale en 1959.
Toutefois, la cathédrale n’est pas le seul édifice religieux bénéficiant de son travail : à Reims, il y a la basilique Saint-Remi, l’église Saint-Nicaise, l’église Saint-Benoit, l’église Saint-André, la chapelle du petit séminaire ; dans la région, les églises de Vouziers (Ardennes), Corbeny (Aisne), Guignicourt (Aisne), et Chaudardes (Aisne), etc.
Une copie d’un des vitraux de cette dernière église fait partie du don : Salomé.
Comme de nombreux monuments de l’Aisne, l’église avait été pratiquement entièrement détruite lors des bombardements de la première guerre mondiale. Située à proximité du Chemin des Dames, elle avait longuement subi les incessants assauts de l’armée allemande, principalement en 1914, puis lors de la retraite de celle-ci en 1918. L’église avait alors fait l’objet d’importantes restaurations à l’identique. De 1934 à 1936, Jacques Simon en réalisa les vitraux dont cette Salomé portant la tête de saint Jean-Baptiste, de composition assez moderne et qui se trouve au fond du chœur de ce monument de campagne.
Jacques Simon a aussi travaillé dans de nombreux édifices civils privés et publics qui ont possédé ou possèdent encore certaines de ses œuvres. Toujours à Reims, nous pouvons citer la bibliothèque Carnegie, l’Opéra, le Café du Palais, la boulangerie Waïda, …. et de multiples hôtels particuliers dont celui d’Hugues Krafft, (actuel musée-hôtel Le Vergeur), pour lequel le conseil d’administration de la Société des Amis du Vieux Reims passe commande en 1953 des verrières de la salle dite gothique. Il est présent également dans des Expositions comme celle coloniale internationale de 1931.
Pour le bar de l’Association syndicale des grands vins de Touraine, du pavillon de la Chambre de Commerce de Tours, exploité à partir du 13 mai 1931, il réalise trois vitraux aux matériaux très riches, cabochons, verre plaqué, argenture : Le Champagne, vin national, Le Champagne Exportation. Féérie et Le Champagne exportation. Ils prendront place dans le futur musée des Beaux-Arts de Reims rénové.
Sa plus jeune fille, Brigitte Simon, commence très tôt à dessiner, l’atmosphère de l’atelier, où son père exerce son activité, étant déterminante pour sa vocation d’artiste.
En 1944, Brigitte fait la connaissance de Charles Marq qu’elle épouse en 1949.
En 1957, parallèlement à son activité de peintre, elle reprend avec son époux Charles Marq l’atelier de son père. Dans ce cadre, ils rencontreront des artistes importants tels Jacques Villon (1875-1963), Roger Bissière (1886 – 1964), Serge Poliakoff (1900 -1969), Marc Chagall (1887- 1985) et surtout Joseph Sima (1891-1971) avec lequel s’établira une profonde amitié.
Brigitte Simon a évidemment réalisé de nombreux vitraux, en particulier pour les cathédrales de Reims, Nantes... et a aussi illustré de nombreux livres. Elle expose pour la première fois à la Galerie Jacob en 1968, des pointes-sèches réalisées pour un livre d’artiste avec Claude Esteban, illustrant une suite de poèmes intitulée La Saison dévastée.
Les trois toiles données par Benoit Marq et sa sœur Charlotte : À la mémoire d’un ange, Souvenir d’ailleurs (1974) et Falaises (1988) illustrent trois périodes de sa vie et montrent son évolution et sa recherche dans l’abstraction. Le motif plissé à tendance verticale se retrouve, réparti dans l’espace, occupant de plus en plus la composition. En 1956, elle a découvert l’Ardèche dont les paysages rocheux influenceront profondément son œuvre de peintre. Le paysage stylisé de Falaises nous les rappelle.
Parmi les deux vitraux figure son premier vitrail, une illustration d’une scène de l’Apocalypse : « Je vis quelqu’un qui ressemblait à un fils d’homme » Apocalypse 1.12-18.
Le vitrail Tryptique a été réalisé en 1969 pour l’exposition de référence à la Maison de la Culture de Reims Le Vitrail et les peintres à Reims 1957-1969, puis aussi exposé en 1980 au Centre International du Vitrail à Chartres. Il reprend le thème de Plissure déjà présent dans plusieurs peintures de Brigitte Simon dont une qui figure dans la collection du musée de Reims.
Le mariage de Charles Marq avec Brigite Simon marque le début de son initiation à l’art du vitrail avant la reprise de l’atelier. Commencent alors de nombreux chantiers soit de restauration soit de créations de vitraux tant en France qu’à l’étranger.
Comme son épouse, il travaille avec de nombreux artistes. Outre Chagall, Bissière, Sima, il y a Georges Braque (1882-1963), Raoul Ubac (1910-1985), Maria Helena Vieira da Silva (1908-1992), Serge Poliakoff (1900-1969) et toujours Villon sous l’influence duquel il commence à graver. C’est en effet avec ce dernier qu’il fait ses premières eaux-fortes en 1958, et c’est en 1959 que Sima l’incite à peindre.
Vers 1982, il développe une œuvre personnelle où la lumière et l’équilibre se répondent.
Sobre et austère, l’espace des trois toiles Grande Composition Bleue II (1985), Composition bleue (entre 1988 et 1991) et Composition rouge III (1989) permet à de puissants rais de lumière de venir éclairer ces constructions imaginées par Marq. Il met en scène des lignes géométriques où verticales et diagonales se croisent. Il utilise des couleurs dont les dégradés rappellent ceux obtenus dans les vitraux.
Pour ces derniers, Composition rouge (1960) et Composition grise (1976), il utilise des couleurs avec de nombreux dégradés, maîtrisant la technique de l’acide et du verre plaqué.
Le fils de Brigitte Simon et Charles Marq, Benoit, naît en 1951. Lui-même artiste et peintre-verrier, il entre dans l’atelier familial en 1973. Il partage ses activités entre trois disciplines du vitrail : la restauration et la protection de vitraux anciens en France, la création de vitraux en France et à l’étranger, ainsi que la réalisation de vitraux d’artistes contemporains tels François Rouan (né en 1943), Imi Knoebel (né en 1940), Jean-Paul Agosti (né en 1948), David Tremlett (né en 1945).
Une baie d’essai de Tremlett fait partie du don, ainsi que quatre vitraux de Benoit : un Diptyque d’après la gravure Bizzarie di Varie Figure, 1524, de Giovanni Batista Bracelli, entre 1975 et 1980, deux paravents, New York, Bleu (1990) et Pandora (1982). Il présenta ce dernier vitrail pour la première fois à la 3ème exposition du Centre International du Vitrail à Chartres en 1983 qui présentait outre des réalisations contemporaines anglaises, de jeunes créateurs français dont faisait partie à l’époque Benoit Marq.
Le don comprend également deux œuvres du fils de Jacques Simon, Luc Simon. Après des études à l’École des Beaux-arts de Paris, il voyage beaucoup en Tunisie et à travers l’Afrique, sur les traces d’Arthur Rimbaud, autre champardennais célèbre. En 1950, il reçoit le prix de la Casa Vélasquez à Madrid. Dans ses vitraux, ou dans sa peinture, Luc Simon s’interroge sur les origines du monde, empruntant les apparences du rêve et de la vision fantastique. Dans sa toile, La Cathédrale engloutie, il représente une scène fantasmagorique de la cathédrale Notre-Dame de Reims sur un bateau, en flamme, engloutie par des vagues stylisées. Cette même vision se retrouve dans son vitrail Un Homme et sa merveille datant de 1969.
Le musée des Beaux-Arts de Reims restructuré, rénové et réaménagé qui doit ouvrir au début de l’année, a prévu de consacrer une partie de son parcours non seulement aux vitraux de la période Art déco, mais aussi au vitrail après 1945 où l’histoire et les œuvres de l’atelier Simon-Marq auront toute leur place. Les vitraux provenant de ce don y seront naturellement présentés.
Catherine Delot, conservateur en chef du Patrimoine, directrice honoraire du musée des Beaux-Arts de Reims.