Enfin un talent reconnu !
Charles Poulain, passionné et spécialiste d’Armand Guéry
Francine Bouré, documentaliste musées des Arts
Le 6 janvier 2025, La Poste a émis un carnet de douze timbres-poste où l’astre solaire a inspiré de nombreux artistes de toutes époques et tous courants artistiques.
Cette série de timbres pour lettre verte se nomme Grand soleil [1].
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Parmi les grands noms — Claude Monet, William Turner, Edvard Munch, Félix Vallotton, Paul Signac, Robert Delaunay, André Masson, Jean Lurçat, Frederic Edwin Church, Emil Nolde, John Everett on découvre, avec surprise, mais non sans plaisir le nom de l’artiste rémois Armand Guéry.
Le propos qui accompagne la sortie de cette série est le suivant :
« Qu’il soit au zénith ou rasant l’horizon, le Soleil a depuis toujours inspiré les artistes, chacun cherchant à saisir sa lumière éblouissante et changeante. Dans cet hommage aux nuances solaires, La Poste célèbre quelques-unes des plus belles œuvres où l’astre rayonnant, symbole de vie et d’espoir, éclaire l’histoire de l’art de ses tons rougeoyants, dorés ou orangés.
Dans l’Antiquité, les Egyptiens le défient, les Grecs l’idolâtrent et les Romains y voient une force créatrice.
A la Renaissance, le Soleil prend une forme humaine, avant que l’impressionnisme et le symbolisme ne réinterprètent sa lumière. Monet, dans l’impression, soleil levant, crée l’instantanéité du lever de soleil par des touches de couleurs brumeuses, inspirant un mouvement artistique entier. De même, le Soleil de Munch incarne la force éternelle de la vie, et, dans un rouge flamboyant, symbolise le renouveau d’une Norvège indépendante. Plus récemment, l’abstraction de Robert Delaunay nous invite à percevoir le Soleil comme objet cosmique aux puissants cercles colorés, où se mêlent joie et intensité. A travers ces œuvres, le Soleil se fait à la fois beauté universelle et promesse d’un ré enchantement » [2].
Le saviez-vous ?
En France, les premiers timbres sont émis le 1er janvier 1849 sous la Seconde République. Pour les illustrer c’est la figure de Cérès, la déesse de l’agriculture, qui est sélectionnée.
Il prend très vite une dimension artistique. Véritable estampe en miniature, il est un support de création dont le sujet est dessiné, photographié ou encore gravé, avant d’être imprimé et diffusé à des millions d’exemplaires. Objet artistique, il est aussi un vecteur de toutes les formes d’art.
Cette idée se renforce dès 1959, lors de la création du ministère de la Culture. Effectivement ce dernier se fixe pour objectif « l’accès de tous à la culture », le timbre est alors perçu comme le support idéal pour introduire l’art dans le quotidien des français.
En 1961, sous le nom de série Tableaux de peintres modernes ou Tableaux de maîtres, quatre timbres sont émis : Le Messager de Georges Braque, les Nus bleus d’Henri Matisse, Les joueurs de cartes de Paul Cézanne et 14 juillet de Roger de La Fresnaye. Pour ne pas desservir l’œuvre originale, la Poste innove sur deux critères : le format et l’impression. Le format du timbre s’agrandit, il devient deux fois plus grand.
C’est un véritable engouement, face à ce succès, la Poste décide de renouveler le projet l’année suivante et n’a cessé de le poursuivre depuis : la série artistique est née.
Grand soleil est la série mis en page par Valérie Besser. Elle a débuté sa carrière de graphiste aux Etats-Unis au début des années 1980. Elle y étudie la typographie et le dessin au Massachusetts College of Arts à Boston, à Harvard et à l’Art Institut de Boston. De retour en France en 1990 pour travailler en agence. À partir de 2002, elle prend son envol et devient graphiste indépendante. Valérie Besser compte plus de deux cents timbres et oblitérations à son actif depuis la mise en page en 2001 de l’émission commune avec le Maroc sur les fontaines Nejjarine au Maroc et Wallace en France, dessinées par Marc Taraskoff (1955-2015).
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Sur les traces de Grand soleil en Champagne
Armand Guéry
Grand soleil en Champagne
1902
64 x 92 cm
Collection particulière ©images/Bridgeman Images
En 1996 lors de la vente du 22 mai, Barbizon - realist and french landscape paintings, chez Christie’s à New York, cette toile figurait au catalogue. Elle est signée et datée en bas à gauche, et correspondait au lot n°184.
On la retrouve de nouveau à la vente 19th century european paintings - drawings and sculpture chez Sotheby’s à New York, lot n°33, sous le titre Sunset in Champagne. Mais cette fois elle n’est pas acquise.
En mai 2001, la toile était visible sur le site Anderson galleries à New-York sous le titre Golden Haze, 1902, avec cette légende : oil on paint, 25 ¼ x 36 ¼ inhes. Signed Lower Right » (Brume d’or, 1902, peinture à l’huile, 64 x 92 cm, signée en bas à droite). En réalité, après étude de l’image la signature est bien à gauche, il s’agissait bien du même tableau.
Extrait de la page 143 du Catalogue illustré du Salon de 1902, Société des artistes français, Ludovic Baschet, Paris, 1902
Cette toile pourrait-être celle présentée au Salon des Artistes français à Paris en 1902 sous le titre Brume d’or, Coucher de soleil en Champagne. La comparaison avec la gravure publiée dans le catalogue illustré semble attester cette supposition. On y reconnait les trois faucheurs dans le champ sur la gauche. Dans le catalogue de cette manifestation elle porte le numéro 770 page 78, mais hélas pas de dimension pour une véritable certitude. En revanche un très beau poème de Charles Tessier l’accompagnait :
Le triomphant Soleil, au ciel de Messidor,
A voilé son éclat rayonnant dans la nue ;
Et dans la plaine agreste et déjà demi-nue ;
Des meules, des blés mûrs que l’on moissonne encor.
Limitant l’horizon du champêtre décor,
Un clocher, des ormeaux à la tête chenue,
Abritant des milliers d’oiseaux à la nuit venue,
Estompent leur profil dans une brume d’or.
Le disque radieux du Soleil qui recule
De ses rayons dorés revêt, au crépuscule,
Les arbres, le clocher, le nébuleux lointain ;
Et sous l’éclat mourant de cette apothéose,
Le chemin, les labours s’illuminent en rose,
Dernier baiser d’adieu d’un beau jour qui s’éteint. [3]
Le 10 mai 1902, dans le journal Le Courrier de la Champagne pour les lecteurs rémois, M. Jouy le reprend et le commente ainsi « La description est fort exacte et pour la résumer en vile prose, disons qu’un chaud soleil d’août illumine et dore de ses ardents rayons, avant de se coucher, sur la lisière d’un village, la plaine embrasée. L’astre plein qui va se cacher derrière le clocher pointu de l’église, se répand en tous sens en une traînée lumineuse vraiment splendide ».
Qui est Armand Guéry ?
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Armand Guéry est né le 4 mars 1853 à Reims et mort le 25 mai 1912 à Gueux. Sa mère décède alors qu’il n’a que 14 mois. Son père, Pierre, fabricant puis courtier en vins, se remarie très vite avec sa belle-sœur avec laquelle il a une fille, Berthe, en 1861.
Il fait toutes ses études au lycée de Reims, bachelier ès sciences. C’est là, sous les leçons de son professeur Jean-Hubert Rève, que Guéry apprend le dessin, à 14 ans. Il obtient un accessit en dessin d’imitation, puis le prix de dessin linéaire l’année suivante. Ses premiers sujets de croquis et de charges, malicieuses et souvent réussies, sont les honorables fonctionnaires du Collège des Bons-Enfants. Il est doué, et son professeur, ainsi que sa famille, l’encouragent en ce sens.
Comme l’écrivent certains biographes, Guéry n’a pas débuté en peinture en 1880, année qui marque son entrée parmi les artistes reconnus, avec la vente des trois toiles qu’il expose au Salon de la Société des Amis des Arts de Reims. Effectivement, il est présent dans le catalogue de l’exposition de 1877, organisée à Reims par la Société des Amis des Arts. Son œuvre intitulée Les Approches de l’Orage, porte le numéro 360 en page 59.
À cette exposition participe aussi Auguste Maillet, dit Rigon. C’est peut-être lors de cette manifestation que des liens se sont créés entre les deux artistes, car quelques années plus tard, Guéry devient son élève.
En 1880, il expose à Reims à la Société des Amis des Arts Les roches de la Semoy à Tournavaux, avec en plus une vue de la Vesle à Sept-Saulx. Ce premier début en public lui est favorable : les toiles sont vendues et la presse en fait l’éloge.
En 1882, il présente au Salon à Paris le tableau Une Plaine en Champagne, là aussi fortement remarqué.
En 1894, il s’installe à Auménancourt, presque face à l’église dans la Villa des fleurs, hélas disparue lors de la Guerre de 1914-1918. Aimé de tous pour sa simplicité, sa jovialité, sa générosité, Guéry travaille beaucoup.
D’ailleurs en 1898, l’homme de lettres, auteur de travaux littéraires et historiques, collectionneur, critique littéraire et d’art Armand Bourgeois le qualifie de Gargantua de la peinture.
Ces voyages dans les Pyrénées, les Alpes, l’Italie l’incitent fortement à s’exercer d’après nature, afin de pouvoir fixer ses souvenirs.
Il est particulièrement reconnu pour ses représentations de la campagne champenoise, où il immortalise la beauté des champs avec les troupeaux de moutons qui y pâturent, les rivières et les paysages naturels. Son utilisation magistrale de la lumière et des couleurs vives donne une dimension vibrante à ses œuvres. Ses tableaux évoquent souvent une atmosphère de paix et d’harmonie, célébrant la beauté de la nature et la simplicité de la vie.
Il est un des fondateurs de la Société des peintres de montagne en 1898 et un membre correspondant de la Société d’agriculture, commerce, sciences et arts du département de la Marne à partir de 1906.
Au cours de sa carrière, Guéry reçoit plusieurs distinctions et prix, témoignant de son talent et de son dévouement à l’art.
Son œuvre se trouve dans de nombreuses collections publiques et privées.
Armand Guéry au musée des beaux-arts de Reims
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Dans une lettre tapuscrit, du 10 octobre 1899 et adressée à Monsieur Henri Jadart, historien d’art, bibliothécaire et conservateur des musées de peinture et d’archéologie de Reims, Guéry évoque sa visite du musée de Reims et avoue avoir été agréablement surpris de trouver ces deux grands tableaux (Lever de lune sur la Suippes et Soir d’hiver à Bertricourt) à des places d’honneur. Toutefois il émet cette remarque et prodigue un conseil au conservateur :
« […]. Mais j’ai constaté aussi que mon tableau de neige était affreusement sale […] et il est nécessaire, dans l’intérêt de la peinture, dans l’intérêt du musée, et beaucoup dans le mien, de nettoyer ce tableau.
Il faudra pour cela, cher Monsieur, une opération des plus simples : prendre une éponge bien propre, la mouiller légèrement, comme lorsqu’on veut enlever des tâches de mouches à une glace, et bien faire, ainsi, partir la crasse. Si le lavage à l’eau ne suffisait pas, il faudrait mettre un peu, très peu, de savon de toilette (pas de savon noir) sur l’éponge et bien rincer. […]. Cela fait, le tableau fané va reprendre sa fraîcheur va se rajeunir va renaître en un mot et redevenir ce qu’il était lorsque je l’ai peint […] ».
(Archives MBA Reims).
Cette toile lui a valut au Salon de 1894 la médaille de deuxième classe et l’a ainsi classé Hors-Concourt.
L’œuvre de Guéry continue d’inspirer et d’émouvoir ceux qui la découvre. Son travail, souvent négligé par les historiens de l’art, est aujourd’hui redécouvert et apprécié pour sa contribution à la peinture de paysage et à la représentation de la vie quotidienne en France au tournant du 20e siècle.
Il repose au Cimetière du Nord (canton 17, n° 326), à Reims, sous une modeste dalle. Une rue de Reims porte son nom ainsi qu’à Orainville et Auménancourt.
©Crédits photographiques [4]
Notes
[3] Explication des ouvrages de Peinture, Sculpture, Architecture, Gravure et Lithographie des artistes vivants exposés au grand palais des Champs-Elysées, avenue Alexandre III, le 1er mai 1902, édition, Paris, Imprimerie Paul Dupont, 1902, page 78 n°770
[4] Photographies timbres : - Aube à Montserrat, André Masson : Private Collection © Adagp, Paris, 2024 /Bridgeman Images - Capriccio, Venise, William Turner : Calderdale Museums Service, West Yorkshire, UK © Calderdale Borough Council /Bridgeman Images - Liberté, Jean Lurçat : Musee Jean-Lurcat, Angers, France © Fondation Lurcat/Adagp, Paris 2024 /Bridgeman Images - Impression, soleil levant, Claude Monet : © musée Marmottan Monet / Studio Christian Baraja SLB - Coucher de soleil en Champagne, Armand Guery : Private Collection Christie’s Images/Bridgeman Images - Le soleil, Edvard Munch : University of Oslo, NorwayPhoto © O.Vaering/Bridgeman Images - Formes circulaires. Soleil, Lune, Robert Delaunay : © Christophel_wha.WHA_056_0165 - Cotopaxi, Frederic Edwin Church : © Detroit Institute of Arts/Bridgeman Images - Paysage marin, John Everett : © National Maritime Museum, Greenwich, London / Bridgeman Images - Coucher de soleil, ciel orange, Félix Vallotton : © Christophel_heritage.2855337 - Coucher de soleil, Emil Nolde : Sprengel Museum, Hanover, GermanyPhoto © NPL - DeA Picture Library/Bridgeman Images - Le port au soleil couchant, Opus 236 (Saint-Tropez), Paul Signac : Private Collection Christie’s Images/Bridgeman Images
Photographies Couverture : - Impression, soleil levant, Claude Monet : © musée Marmottan Monet / Studio Christian Baraja SLB - Coucher de soleil en Champagne, Armand Guery : Private Collection Christie’s Images/Bridgeman Images - Le soleil, Edvard Munch : University of Oslo, NorwayPhoto © O.Vaering/Bridgeman Images